Acceptons de vivre ce temps de l’incertitude et apprenons…

Il y a eu un coup d’arrêt brutal…

Il y a des marches avant, des marches arrière, des coups de frein imprévisibles dans cette période que nous vivons et nous devons sans cesse nous adapter aux directives incessantes et contradictoires qui surviennent.

Fatigant, épuisant ! Je pense aux collègues, directeurs-trices, chef-fe-s d’établissement, aux enseignant-e-s, aux AESH, aux éducateur-trice-s, aux élèves, aux familles… Nous sommes tous dans cette saison de perturbations fortes…

Edgar Morin nous a alerté, depuis assez longtemps, sur cette nécessité d’apprendre à penser la complexité, d’apprendre à vivre dans l’incertitude … Voilà nous y sommes. Faut-il nous en désoler ? Avoir la nostalgie de ce temps où nous pouvions anticiper  une année à l’avance, voire plusieurs, les différents projets que nous mènerions… OU au contraire faut-il y voir une étape nouvelle pour apprendre autrement quelque chose que nous ne connaissons pas ?

Nous définissions l’école inclusive comme une école qui cherche à ne plus exclure, qui scolarise tous les élèves et qui prend en compte toutes les dimensions de la personne. Cette dernière partie de la définition passe souvent inaperçue. Pourtant, la rupture que nous vivons entre cet avant Covid et cet après encore inconnu, mobilise chez chacun de nous, enseignants, élèves, parents, éducateurs,  des aspects de nous-mêmes dont nous ne parlons pas.

Notre rapport au temps se trouve interrogé car il s’agit de vivre chaque jour qui vient au mieux, sans trop savoir  ce qui suivra.  Cette grande invitation à la méditation, relayée par différentes approches,  peut-elle nous permettre de mieux vivre l’instant présent qui est “éternité” disent de nombreux sages. Chacun fait sans doute comme il peut, mais il est clair que ce” vivre le présent”, en respirant en conscience, est une aide pour aujourd’hui. Cela demande un certain ralentissement mais permet un vécu d’accueil et d’intériorité. Le temps de l’école pensé comme une horloge dictatoriale de successions d’emplois du temps a été ébranlé. Or nous le savons aussi, ce rapport au temps est parfois pour certains élèves problématique: trop rapide, trop lent, pas assez structuré, trop structuré ? Pouvons-nous  donc entrer vraiment dans le temps de l’éducation qui est un temps long , qui permet de relier les savoirs et les expériences, qui sait que les erreurs sont nécessaires… et que le programme n’est pas “tout” !

Changeant ainsi notre rapport au temps et aux situations, nous  allons naturellement vers ce “prendre soin” qui a fleuri par temps de COVID…  Ce prendre soin s’applique en premier lieu à soi-même… Il nous faut apprendre à accepter nos limites… notre fragilité et la reconnaissant, nous pouvons la reconnaitre chez autrui, que ce soit nos élèves, nos collègues… Cela engage notre responsabilité et développe la conscience de nos gestes  barrière mais aussi de nos gestes, attitudes de compréhension de l’autre. Ce prendre soin peut modifier notre regard, nos relations, nous obliger à rechercher une solidarité et une cohérence d’ensemble, d’équipe. Peu à peu l’école inclusive nous a appris à changer notre regard sur les élèves handicapés. Nous avons appris à voir d’abord  cet élève comme une personne et non pas à voir seulement son handicap. Masqué-e-s, le regard devient fondamental et s’intensifie avec bienveillance, comme si nous pouvions regarder  et écouter plus en profondeur, privé-e de  la partie inférieure de notre visage.

Nous pourrions céder à un tsunami de découragement, mais peu à peu nous apprenons à faire au jour le jour… “Demain, il fera jour” se répétait comme un mantra, cette vieille dame qui avait connu la guerre et le drame de la maladie pour une de ses enfants. De la même façon, les élèves les plus en difficulté viennent nous chercher sur notre capacité à leur faire confiance, et même à avoir confiance en eux, pour eux. Nous avons à apprendre à nous faire confiance, à faire confiance aux différents acteurs de la communauté éducative. Y a t il encore du temps pour des conflits de pouvoir, de territoires et de points de vue idéologiques ? Pour des interprétations hâtives qui séparent et opposent ?

Nous devons aussi aller à l’essentiel et mobiliser la capacité à se réorganiser selon cet essentiel. En quelque sorte, allons-nous faire un grand ménage de tout ce qui est inutile, consolider ce que nous savons bien faire et interroger ainsi nos priorités ? Priorités pour les élèves les plus en difficulté, mais aussi pour l’ensemble d’une classe, pour le bien être d’un établissement, pour l’amélioration des relations avec les parents…

Avons-nous pour autant à abandonner cet autre moteur constitutif de l’être humain, celui d’être en projet ? Non, mais sans doute tous nos projets ont-ils à être pensés autrement dans un souci d’une avancée commune et d’une vision élargie, dans une nouvelle harmonie dans notre rapport au temps, à l’espace, dans nos relations à autrui, dans une  compatibilité avec une vision réaliste des situations.

Oui ! Acceptons de vivre ce temps de l’incertitude et apprenons ensemble un autre regard, un autre rapport au temps. Transformons nos relations dans une compréhension bienveillante de nos forces et de nos fragilités. C’est notre créativité fondée sur cette dimension de reliance au monde intérieur de chacun  et au monde qui peut nous guider. C’est le moment ou jamais d’oser inventer des “autrement” mobilisateurs.   Alors oui, riches de nos fragilités, de nos nouvelles manières d’être,  d’une vision élargie au monde, nous construirons un projet commun  d’éducation inclusive.

L’école inclusive doit aussi envisager les différentes dimensions de la personne qu’il soit élève, enseignant, éducateur, parent. Il s’agit ici d’un enrichissement anthropologique qui propose pour chacun une éducation globale. La reconnaissance de ces différentes dimensions comme constitutives de l’être humain peut améliorer les relations de collaboration et de coopération au sein des classes. La notion de vulnérabilité d’apprendre reconnaît en tout être humain une zone de fragilités, plus ou moins importante qui n’étant plus inexistante devient le lieu de transformation possible de chacun. L’École vise alors un développement global de chacun qui préfigure une humanité qui ne recherche plus l’hyper compétence et l’hyper efficacité qui génère toujours plus d’exclusion mais une humanité consciente de ses richesses, de ses fragilités, des singularités qui renouvelle la question de l’altérité et du projet de vie de nos collectifs.

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