Que voulons-nous être ?

Sommes-nous capables de pouvoir répondre à cette question dans ce temps qui vient du “déconfinement” ?
Quand le climat alentour n’est que peur, recherche de la sécurité maximale guidée par l’utopie du risque zéro, nos ressources pour penser sont entamées, notre bon sens semble avoir disparu et nous ne savons plus ce qu’il convient de faire. Alors, oui, prenons le temps de nous interroger sur ce que nous voulons être, ce que nous voulons faire et pour cela regardons un peu en arrière sur cette première période du confinement que nous avons vécue. Que pouvons-nous en retenir ? Quelles observations étonnantes avons-nous fait ? Et pourtant, nous étions aussi pris au dépourvu….

  • Nous nous sommes surpris à déployer des trésors de créativité pour que les élèves puissent maintenir une activité de découverte, de réflexion, d’apprentissage, de reliance avec les situations de la vie courante ou de parcours ouverts sur la culture … Nous avons “empoigné” nos ordinateurs, tablettes ou téléphones, franchi les étapes de connexion aux différentes plates-formes, utilisé padlets et zoom… visites virtuelles, outils collaboratifs. Nous avons mis en forme très clairement nos supports… Nous avons mesuré combien nous devions expliciter ce que nous proposions. Or ceci peut constituer une zone aveugle dans certaines pratiques de classe qui n’incluent pas d’inter action, de questionnement, de mise en activité réelle, et de rétro action sur la manière d’aborder la tâche proposée…
  • Libérés de la gestion du groupe, nous avons pu mettre toute notre attention sur chacun, avec un souci de ceux qui n’arrivaient pas pour diverses raisons à se connecter, à rester dans ce mouvement à distance proposé à la classe. Nous avons alors découvert que d’autres relations étaient possibles avec leurs parents ou avec eux et nous avons “osé” téléphoné directement, insisté même, relancé … Toutes choses qu’habituellement, nous aurions fait mais à une moindre échelle. Nous avons mené, sans économiser notre temps, ni notre fatigue, une personnalisation  des apprentissages qui nous a permis de découvrir des trajectoires d’élèves que nous n’attendions pas.
  • En effet, certains, eux aussi, libérés du regard des autres, de l’ambiance de la classe ont trouvé un fonctionnement et un rythme qui leur convenait mieux. Leurs progrès nous ont surpris. IL nous faudra bien revenir sur ce point qui interpelle fortement le fonctionnement habituel des classes quand malgré nos efforts, l’ambiance de classe est anxiogène pour certains.
  • Nous avons aussi davantage encouragé tous les efforts de tous nos élèves, valorisant au maximum les réalisations, rassurant sur les délais de rendu du travail… Là aussi, nous ne devons pas oublier l’importance de cette valorisation alors que l’école, son système, classe, exige, décourage et exclut ainsi bon nombre de nos élèves. Nous pouvons choisir de ne plus reproduire cette course effrénée aux moyennes, aux notes… Mais bien rechercher à installer des conditions d’apprentissage qui créent confiance, encouragement.
  • Nous avons aussi vite ressenti le besoin de  renouer avec le collectif, de voir  nos élèves… et nous avons proposé des visio-conférence, par demi groupe, petit groupe… et nous avons constaté combien les élèves pouvaient respecter les tours de parole… étaient vraiment là… Curieux… alors même que rien ne les empêcherait de “faire semblant” ils étaient bien là. Puissance fascinante de l’écran, nouveauté de la situation, désir d’être là, de retrouver son enseignant et ses copains ?
  • Les enseignants spécialisés  ont joué pleinement leur rôle de personne ressource, pour leurs collègues, les élèves et les parents. Adaptation de supports, conseils aux collègues sur un allégement éventuel des propositions communes faites à la classe, traduction et clarification de ce qui est à faire pour les élèves et leur famille.
  • Les AESH, ont pu suivant les cas intervenir auprès des élèves suivis et être associés par les enseignants à des vidéos, mais comme d’autres ont aussi participé à l’accueil des enfants de soignants…

Nous avons donc changé notre regard sur nos élèves, leur famille, et modifié ainsi nos relations. Nous avons tâtonné et accepter de le faire prenant au fur et à mesure des semaines plus d’initiatives pour améliorer les propositions. Nous avons modifié aussi les relations avec nos collègues de l’enseignement spécialisé et les AESH. Le sentiment de devoir bien faire pour les enfants, les jeunes était premier et guidait l’action.  De cette première étape, de cet inattendu, nous avons mobilisé des ressources insoupçonnées… Malgré la fatigue, nous avons agi en accord avec nous-mêmes. Nous pourrons encore orienter notre action, peser nos convictions et mobiliser ce que nous sommes en vérité.

Voilà donc, qu’une nouvelle étape arrive avec cette visée annoncée de la réouverture des écoles le 11 mai. Les discours sont contradictoires, peu clairs et nous aimerions être daltoniens pour ne plus être assujetti au rouge et au vert … De toute façon pour les écoles primaires,  cela ne change rien !

Certains regrettent cette réouverture, critiquent la précipitation … Mais en même temps, allons-nous être confinés à vie ? Comment fermer les yeux sur les dégâts liés à ce confinement, toutes ces situations de détresse dans des quotidiens tendus, toutes les situations matérielles  qui ne permettent pas de suivre les propositions pédagogiques; les deux étant souvent combinées ! Les enfants, eux, souhaitent avant tout retrouver leurs copains  et leur maitre ou maitresse … Ils seront sans doute un peu déçus … Mais à nous d’inventer une théâtralisation qui dédramatise et induise une nouvelle façon d’être ensemble.  Nous aurons quelque part à être des “clowns” enseignants, confiants et rassurant, ouvrant une nouvelle fenêtre de vie.

Il nous est demandé de préparer dans l’urgence la phase de déconfinement des écoles. Le protocole sanitaire qui nous a été communiqué donne toutes les indications nécessaires pour garantir au mieux les conditions d’accueil et de précautions pour les enfants et les adultes de l’école. Mais il crée en même temps une psychose autour du risque zéro, de la contamination virale, de la suspicion au quotidien…

Oui, il nous faut apprendre à vivre différemment et à devenir plus conscient des gestes que nous faisons, de nos modalités de relations… excluant le toucher qui est si important pour les plus jeunes mais aussi pour chacun de nous.

Surtout il nous faut comprendre que nous n’allons pas retrouver l’école avec une demie classe à tour de rôle et que nous pourrons faire avec cette demie classe  ce que nous proposions avant. L’école inclusive s’appuie sur un climat de coopération, une entraide au quotidien… Il va falloir apprendre aux enfants à se “retenir” d’aller vers l’autre et proposer d’autres façons de le faire que celles liées à la spontanéité habituelle de leur âge. Cruel ! Nous allons isoler au maximum chacun car il est devenu un potentiel danger ! Terrible… Sommes-nous entrain de devoir être des enseignants d’une école devenue confinée et isolant chacun dans une bulle de protection ?

Allons-nous abandonner nos pratiques de coopération pour envoyer chacun dans sa propre zone de travail, sur personnalisée… Comment ferons-nous le lien avec ceux restés à distance ? Peut-être dans l’organisation,  faudra-t-il envisager de créer des groupes un peu différents des classes d’avant ? Comment poursuivre avec les enseignants spécialisés une collaboration entière et inventer là aussi des modalités nouvelles ? Sur cette organisation pédagogique, rien n’est dit, nous le remarquons. Profitons-en pour transformer ce cadre contraignant en un laboratoire  d’idées, de concrétisations passionnantes… Chacun ne peut rester seul avec ses angoisses ! C’est bien en équipe, pour ceux qui en doutaient encore, que nous  allons de l’intérieur transformer l’école.

Nous avons bien à prendre les mesures indispensables liées à la santé et nous avons à transformer ces conditions drastiques en moments successifs denses de vie, de paroles, de fous rires, de poésie… de surprises… Cela veut dire que nous devons dépasser nos propres peurs, donner pleinement nos savoir-faire, savoir être et savoir agir, pour faire de ces retrouvailles avec l’école un moment unique qui restera gravé dans les mémoires et qui  dira encore et toujours “La vie est belle !”

Véronique Poutoux, rédactrice en chef, 4 mai 2020.