Ce que j’ai vu, ce que j’ai entendu…

Bien difficile cette accélération du temps qui semble tous nous conduire tels des automates, les yeux fixés sur le guidon… Alors sommes-nous encore capables de nous poser et de nous demander à un moment de la journée ce que nous avons vu, et n’avons pas vu, ce que nous avons entendu et n’avons pas entendu, ce que nous avons fait et n’avons pas fait, ce que nous avons dit et n’avons pas dit ?

Mon propos ne vise pas à nous culpabiliser mais seulement à revenir sur un des fondamentaux des gestes professionnels des enseignants et éducateurs : l’observation.

De nombreux débats ont animé cette question, posant le doute sur les filtres de l’observateur, l’impossibilité de l’objectivité ; cherchant à “outiller” cette observation par des grilles qui ont souvent pour défaut d’enfermer dans des réponses standardisées les comportements et les attitudes.

Il me semble que dans la vie de la classe, dans un entretien avec des parents, dans un travail avec des collègues, le retour réflexif sur ce que nous avons vu et entendu est un moyen fiable de recueillir au plus près les faits et d’éviter les interprétations hâtives, les généralisations abusives, les distorsions de la réalité.

Combien de fois, en travaillant avec les collègues, mon étonnement a surgi de l’écart qui apparaissait entre ce qui m’était présenté en premier et les réponses que l’on me donnait lorsque je tentais de revenir au plus près des faits précis.

Comment nous protéger de cette tendance facile à porter un jugement sur un élève, un parent, un collègue ?
C’est toute la construction de notre pensée critique qui demande cet effort de retenue du jugement et qui est indispensable pour chercher avant tout à comprendre nos élèves, mais aussi tous nos interlocuteurs. Comment poser un regard ouvert sur ce qui nous étonne parfois de leur part, que ce soit sur le plan comportemental, relationnel, et intellectuel, quand ce jugement intérieur est posé, et que comme un chewing-gum, il a une fâcheuse tendance à ne pas pouvoir se décoller ?

Prendre l’habitude de relire une heure de cours, un moment de la journée, une situation d’élève, à partir de ces questions : qu’est-ce que nous avons vu, et n’avons pas vu, qu’est-ce que nous avons entendu et n’avons pas entendu, qu’est-ce que nous avons fait et n’avons pas fait, qu’est-ce que nous avons dit et n’avons pas dit ?  Est sans doute la base d’une pensée plus rigoureuse, plus distancée et qui nous aidera à différer des réponses basées sur des interprétations trop rapides, des exagérations disproportionnées ou des verdicts parfois irrémédiables.

En cette période de conseils de classe souvent décisifs pour certains, faisons l’effort de rechercher au mieux les faits précis, de relever les points d’appui et de co-construire des réponses qui ouvrent des possibles et ne créent pas des stigmates à venir d’exclusion.

 

Véronique Poutoux, rédactrice en chef, 29 mars 2018.