L’école a continué…

Dans une réactivité impressionnante se sont activées les modalités d’une école qui se transporte, presque comme par magie, dans chacune des familles de nos élèves… Comme une première phase très excitante face à quelque chose de nouveau … Un défi à relever en s’aidant mutuellement, en ayant chacun en tête le souci de nos élèves. Au-delà de l’obligation qui était faite, une réelle volonté de mettre en œuvre le suivi des élèves… Nous avons assisté sur les réseaux à un déploiement impressionnant d’une mise en commun des outils, des supports, des plates formes numériques, des démarches possibles…  Une communication incroyable, envers les parents, les élèves et une préoccupation réelle pour la plupart des équipes de ne pas perdre des élèves en route… Monsieur le Ministre pourra clamer cette belle réussite. Pourvu qu’il réalise que cela n’est pas de son fait mais bien de l’engagement des équipes, des chefs d’établissement, des enseignants et des enseignants spécialisés…  Pourvu qu’il exprime cela en vérité. Nous avons vu aussi, combien les familles voulaient bien faire, parfois même faire trop… ou pour certains encore ne pas pouvoir faire et s’en culpabiliser en silence.

                                      1ere phase de l’action dans une situation inédite … Mettre en place des apprentissages qui se réaliseront dans les maisons … découvrir pour certains les espaces numériques, rencontrer les défauts de connexion…

Ensuite, assez vite, des voix, dont les nôtres, ont commencé à dire : Attention, ralentissez, l’école à la maison ce n’est pas l’école… Attention, l’emploi du temps ne peut pas être reproduit à l’identique, les évaluations ne peuvent pas se faire dans les mêmes conditions… et les parents de crier aussi stop… Pitié… Nous n’en pouvons plus… Le stress pour certains, l’angoisse pour d’autres, le découragement… Ce qui était prévisible apparut au grand jour : de nombreux articles pointant le risque de creuser les inégalités, dénonçant les inégales conditions de vie, d’équipement informatique… D’autres échos positifs se sont faits jour : l’amélioration des relations enseignants- élèves, enseignants-parents, enseignants entre eux et une collaboration rendue plus importante, un souci de mutualiser…  Des questions ont commencé de surgir :  comment garder une dynamique collective de classe ? alors que l’orientation majeure était donnée à la personnalisation.
Comment mieux accompagner les élèves à besoins éducatifs particuliers dans un environnement numérique avec de nombreux supports écrits avec le risque d’oublier les pratiques d’aménagement vécues en présentiel en classe ? Quelle place et rôle donner aux AESH ? Des inquiétudes ont surgi sur les conséquences psychologiques et psychiques de ce confinement : risque de violences familiales, états dépressifs…

Pendant ce temps se met en place l’accueil des enfants de soignants, puis d’autres professions en s’appuyant sur le volontariat et la mutualisation entre établissements.

                          2eme phase de l’action dans une situation inédite…  Garder des liens avec les élèves, les familles… Pas si drôle, ce rôle de distributeurs d’exercices et de correcteurs !

Et Zoom surgit… ou d’autres modalités pour permettre à nouveau au collectif d’exister… Classes virtuelles, vidéos mettant en scène le scenario de la leçon ou les rituels en classe maternelle… Visio-conférence entre enseignants, conseils de classe virtuels… Nous continuons d’exister devant nos écrans, adoptons de nouvelles règles de conduite… Les élèves envoient des messages à leurs enseignants ; des équipes envoient un montage vidéo à leurs élèves… Pour se dire… Oui, vous nous manquez… Il nous tarde de se revoir…  Cette part si importante, la relation, surgit pleinement et s’exprime.

                          3eme phase de l’action dans une situation inédite … Recréer un collectif, redonner vie à nos visages, à nos voix… Dire les relations sont importantes… Nous ne sommes pas des machines, nous avons besoin les uns des autres.

Et puis, nous voilà fatigués… Nous devons admettre que nous ne savons pas ce qui va suivre … Quand allons-nous retrouver nos élèves ? Nos collègues et tout ce qui fait la vie d’une école qui vient à nous manquer cruellement. Tous ces « combats quotidiens » pour tel ou tel élève, pour tel projet, pour rendre les actions cohérentes, pour vivre au mieux cet « educare » car quoiqu’en disent certains, enseigner et éduquer sont indissociables nous manquent aussi.  Nous avons agi, il nous faut maintenant donner du temps à la réflexion, au sens de nos actions, regarder nos peurs d’adultes en face de ce vide, devenir plus lucides sur nos motivations, sur ce qui est vraiment important pour chacun dans ce métier choisi… Les zones de vacances vont se succéder… Qu’elles permettent un repos, une halte dans ce parcours inconnu. Que nous posions en conscience les balises de ce que nous voulons pour nous :  enseignants, équipes, élèves…  De ce qui devient important et doit demeurer ; de ce qui pourra changer ; de ce que nous ne voulons plus revoir ou vivre … Il y a maintenant urgence à un certain silence, à une déconnexion… pour traverser ce vide avec l’assurance que donne la confiance en la vie, en l’humain, en nos élèves, tous nos élèves, en nos collègues.  Nous pourrons aller vers une école que nous renouvellerons, forts de ce que nous avons vécu, donnant vie à une intelligence collective qui résistera aux nouvelles doctrines qui pointent déjà le bout de leur nez.

 Véronique Poutoux, rédactrice en chef, 7 avril 2020.

 

 

Doctrine : mot florissant actuellement qui m’inquiète … A surveiller de près !