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• Quand la peur détruit le bon sens…

A entendre dernièrement différentes situations, ou certains commentaires, il y a bien deux constats inquiétants à faire et qui interrogent le sens même de l’école inclusive.

– Le premier est celui de l’épuisement des enseignants et de leur découragement. Comment celui-ci peut- il être expliqué et être entendu ?

  • La situation sanitaire qui s’était calmée en ce début d’année est à nouveau problématique, entraînant des absences, non remplacées… des classes qui se ferment. Une zone d’incertitudes s’étend comme un paysage rempli de brouillard.
  • La difficulté parfois, à travailler en équipe, à sentir l’appui d’un collectif… Faute de temps, faute de moyens humains pour baliser ce travail.  Quant au soutien et à la compréhension des instances institutionnelles…
  • Le sentiment corroboré par les chiffres, d’une augmentation du nombre d’élèves avec des besoins particuliers à suivre dans chaque classe, est réel. Ce qui entraîne à la fois des questions sur la qualité de son propre travail, un sentiment d’impuissance et de découragement… Et pourtant, pour la grande majorité des enseignants, le désir d’accompagner tous les élèves au mieux est bien présent. Cela entraîne ensuite de nombreuses rencontres avec les parents. Lieux d’écoute, de confiance réaffirmée de part et d’autre mais aussi lieux de malentendus, de blessures ré ouvertes, de sans issue parfois. Cela entraîne aussi de nombreuses réunions d’équipes (éducative ou de suivi de scolarisation) dans lesquelles les différents partenaires se mobilisent ensemble au service du projet du jeune ; mais aussi des moments difficiles d’incompréhension, de positionnements non ajustés, de prises de pouvoir, de non reconnaissance de ce qui est vécu, travaillé par les uns et les autres… de trois pas en avant, de deux pas en arrière.
  • Comment alors répondre à cet épuisement ? Les moyens ne sont pas toujours là, et actuellement, il y a tant de lieux où nous sommes à la limite de l’acceptable. Mais n’avons-nous pas fait fausse route en sur personnalisant au lieu de repenser la classe autrement, de prendre en compte d’entrée de jeu les invariants présents (Il y a des élèves qui sont en difficulté de lecture, écriture, d’attention, de mémorisation, d’anticipation et planification…) afin de préparer supports, démarches adaptées, en concevant les séances rendues accessibles ? 
  • Il nous faut sortir de cette fuite en avant et croire que nous résoudrons cette situation en augmentant le nombre d’AESH. C’est bien une responsabilité collective qui est engagée et sans doute une transformation plus radicale de l’école qui doit être pensée. L’école inclusive doit se dégager de l’organisation en classe d’âge, d’un programme unique. D’autres formats pédagogiques peuvent fonctionner avec plus de flexibilité et de créativité.

Le deuxième constat est celui de la prédominance du modèle médical qui entraine avec lui, une sur catégorisation, une sur administration, une sur personnalisation et donc la poursuite d’une stigmatisation et d’un regard social qui ne change pas. Plusieurs exemples en disent longs.

  • Pourquoi monter un dossier MDPH lorsqu’une équipe éducative en accord avec les parents demandent un maintien justifié en grande section ?  Quand pourra-t-on mettre en œuvre une vérité de bon sens qui est celle de reconnaitre que tous les enfants ne se développent pas tous au même rythme et que certains peuvent avoir besoin d’un peu plus de temps, tout simplement…  On installe par cette procédure une désignation qui n’a pas lieu d’être, qui engrange une angoisse chez les parents, l’enfant bien sûr et les enseignants…
  • En classe de CM2, deux élèves bénéficiant du dispositif ULIS travaillent en mathématiques avec leur AESH. Ils sont placés un peu à l’écart des autres, pour pouvoir mieux travailler. En regardant de plus près cette situation, nous nous apercevons que l’AESH est là pour calmer d’éventuels gestes déplacés de l’un et un débordement émotionnel éventuel de l’autre.  Ces deux réactions ne se produisent que rarement. Pourquoi alors ne pas constituer autour de ces deux élèves, un petit groupe ? L’AESH pourrait alors être plus utile dans cette aide ainsi mutualisée. L’autre question posée par cette situation, est celle de la compréhension de ce qui semble être craint… ces élèves sont connus de leur camarade, de l’enseignant… Alors il s’agit simplement de faire avec. Je suis sure d’ailleurs que certains enfants auraient le comportement tout à fait ajusté à ces éventuels débordements.
  • Un enfant, grand prématuré, entre à l’école. il n’est pas propre. Le médecin rédige un certificat mettant en relation la grande prématurité et le fait que dans son développement, il n’a pas encore ses 3 ans et de faire un PAI … Me sont revenues les images d’une classe en Italie où il est tout à fait convenu que certains enfants ont encore des couches et que cela n’est pas dramatique… On leur apprend simplement à changer leur couche de façon autonome… et cet apprentissage se met en place tout seul.

Au travers de ces exemples, nous voyons bien que nous avons perdu notre bon sens … et un peu de notre humanité. Pourquoi ? Par peur… Il faut tout classifier et entrer dans des process qui garantiraient les actions menées. Mais qui garantit que les actions énoncées dans ces process ne comportent pas elles aussi leur part d’erreur ? Comment pouvons-nous faire à nouveau confiance ? Confiance en nous-même, en notre jugement, en notre créativité ? Confiance en l’autre ? L’école inclusive est une école humaine et non une école standardisée, normative, robotisée …

Ressaisissons-nous… vite.  Construisons des relations de compréhension et d’élargissement de notre vision… Nous trouverons les solutions au quotidien… en dialogue avec les parents, en collaboration avec toutes les ressources humaines de l’école, y compris celles que sont nos élèves… et prenons nos responsabilités pour regarder en face ce qui ne tient pas la route et ajuster nos réponses à nos valeurs, nos convictions. Inventons des contournements aux injonctions paradoxales qui maintiennent cette vision médicale et catégorielle et surchargent de travail et d’angoisse enseignants, parents et enfants.

 

. École et Société inclusive ! L’une ne peut aller sans l’autre !

Il y a des mouvements de fond qui poursuivent leur cheminement malgré les obstacles, les différents aléas de surface. Il en est ainsi du courant qui consiste à poursuivre le développement de l’éducation inclusive au sein d’une société qui hésite à être inclusive.

Les données quantitatives montrent cette évolution. Voir, entre autres, les chiffres donnés dans l’article récent de Dominique Momiron ( Inspecteur de l’éducation nationale honoraire, ex conseiller pour l’école inclusive académie de Clermont-Ferrand). L’augmentation du nombre d’élèves en situation de handicap et du nombre d’AESH est bien là.[1] Mais cela suffit-il ? L’école inclusive ne peut pas se mesurer au nombre de plus en plus important d’AESH. Il est indéniable que leur présence et leur travail est indispensable. Mais penser et agir l’école inclusive relève de changement de représentations, de compréhension des différents processus d’apprentissage et de transformation des pratiques éducatives et pédagogiques.

En effet, si l’école inclusive prépare une société inclusive, elle ne peut se développer que si la société veut être une société inclusive. Pour cela, plusieurs changements dans les représentations ou dans les décisions/ actions doivent pouvoir se concrétiser, se donner à voir. Les discours bienveillants autour du handicap, qui semblent faire consensus, ne suffisent pas à rendre une société inclusive. Il nous faut apprendre à vivre en société inclusive, c’est à dire à prendre en compte toutes les formes de vulnérabilité qu’éprouvent tant de personnes et à prendre les mesures qui témoignent d’une solidarité effective.  Les discours actuels de pré campagne présidentielle ravivent des positions idéologiques et de repli identitaire qui menacent notre vivre ensemble.

L’école inclusive se doit de veiller à ne pas exclure au nom de différences portées par nos regards et nos à priori, et à ne pas catégoriser à outrance.[2] L’excès de diagnostic peut enfermer un élève dans des a priori limitatifs. Les excès de diagnostics peuvent enfermer l’école dans une sur catégorisation qui l’éloignerait de sa visée inclusive.  Si dans un premier temps, il a été nécessaire de « forcer » le changement de cap, aujourd’hui il est temps de valoriser et d’expliciter les pratiques existantes d’écoute, d ‘observation, d’adaptations pédagogiques, les expériences de terrain qui témoignent de toute une recherche des différents acteurs pour mieux prendre en compte les besoins particuliers des élèves.

Dans cette période troublée qui se poursuit, chacun de nos discours, de nos actions peut contribuer ou pas, à maintenir le cap d’une école inclusive dans une société inclusive ou au contraire faire advenir une société non inclusive qui se passera alors d’une école inclusive !

Soyons conscients de ces enjeux actuels face aux peurs qui surgissent. Il y a nécessité d’un regain de convictions à porter en soi et en équipe pour guider le travail quotidien auprès de tous les élèves qui nous sont confiés. Il nous faut témoigner plus que jamais de ce qui se vit dans les classes, se produit dans les parcours individuels des élèves, des enseignants et de leurs parents. Il nous faut trouver le moyen d’expliciter ces avancées qualitatives qui décrivent des « bouts » de réalité qui mis « bout à bout » construisent une école que nous n’aurons plus besoin de nommer « inclusive » !

Véronique POUTOUX, le 3 octobre 2021.

[1] Pour rappel, D. Momiron, prend en compte le nombre d’élèves ayant une notification d’aide humaine.En 2016, Sur 118 000 élèves en situation de handicap, 26 000 ont une notification d’aide humaine soit 22%.. En 2015, sur 280 099, 124 800 ont eu une notification d’aide humaine, soit 45%. En 2020, sur 386 500, 224 237

[2] Notre bureaucratie est pourtant championne pour nous soumettre des protocoles catégorisant qui réussissent parfois, à ôter aux enseignants, aux équipes, leur réflexion, leur bon sens et leur capacité à agir.

• Lilian DUBUS ou le refus de se laisser enfermer dans une étiquette…

A voir, un documentaire qui nous fait rencontrer Lilian, jeune adolescent, qui nous touchera par sa force de vie et le processus de transformation engagé avec l’aide de nombreux acteurs. Illustration de ce dévoilement de tous ces petits pas qui nous rendent si humains au quotidien à l’école dans un village…

En cette période un peu noire… A regarder : https://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/france-2/13h15/13h15-du-samedi-18-janvier-2020_3766801.html